Aux sources de l’ame
Giovanni Sias

C’est à ce niveau du discours que la sagesse opère : là où le réel est saisi comme la frontière infranchissable de la limite humaine et de ses possibilités. On l’aperçoit avec clarté dans le concept de phýsis des savants grecs et dans celui de loi des savants hébraïques, où phýsis et loi ne sont rien d’autre que la « création » d’une réalité qui s’impose par l’impossible Nom du dieu et qui pose constamment l’homme face à sa propre limite : ce sont les métaphores du réel. Mais, à plus forte raison, cette réalité introduite par le langage n’est que le résultat d’un récit dans lequel la métaphore du réel se propose comme infranchissable, à moins de ne pas en renverser l’ordre introduit par le langage. Ce renversement peut donner lieu à des nouvelles créations de sens, qui n’éliminent pas du tout l’incidence du réel et son impossible connaissance, mais peut créer une réalité, qui est en mesure de pousser l’homme au-delà de cet impossible savoir, où la limite ne sera pas évitée, mais la “production” de connaissance empêchera qu’une telle limite se constitue comme frontière infranchissable. En substance, la limite du réel, que le signifiant « devenir » rend présente à la cognition humaine, ne se configure pas comme limitant, mais elle se prête à une investigation qui en élabore l’angoisse à travers le jeu de la connaissance. […] Ce type d’investigation ne peut qu’être mené sur le plan du langage, de façon à créer des récits possibles qui dévoilent ses seules possibilités de connaissance. En effet, la connaissance n’est pas du réel, mais une connaissance qui s’actualise par les (et dans les) compositions linguistiques : ce sont, donc, des connaissances du langage. Des créations rendues possibles aux hommes, telles que nous les connaissons, par l’alphabet et ses extensions. Alors, ces récits, comme tous les récits, ont la capacité de situer l’homme dans le cosmos, chose impossible en se basant sur les seules connaissances humaines spontanées. […] À la différence de la religion et de ce qui sera par la suite la philosophie, la sagesse est la modalité d’une pensée qui ne construit pas l’illusion du salut, mais qui opère pour élaborer des solutions linguistiques permettant à l’homme de se situer dans le cosmos, de trouver une façon pour l’habiter, même si son inconfort ne disparaît pas.